Pour que nos politiques de santé publique soient fondées sur une science de qualité, les chercheuses et chercheurs doivent identifier les causes des maladies qui menacent notre espérance de vie en santé.
C’est ainsi que nous nous assurons de développer des interventions qui pourront améliorer la santé de la population ou prévenir ou retarder l’apparition de certaines maladies. Une grande proportion des études sur lesquelles reposent nos stratégies de prévention sont dites « observationnelles ». Celles-ci rassemblent les caractéristiques de plusieurs milliers d’individus (alimentation, tabagisme, niveau d’éducation, cholestérol sanguin, revenu, etc.) et examinent leurs associations avec la présence de maladies ou leur risque d’en développer à court ou moyen terme.
Or, ce type d’étude observationnelle et non expérimentale est, par définition, assujetti à plusieurs biais qui empêchent l’établissement d’une solide relation de cause à effet entre un facteur de risque et une maladie.
Les chercheurs s’appuient par ailleurs sur des essais cliniques randomisés. Dans ce type d’études, des participants sont aléatoirement répartis dans un ou plusieurs groupes correspondant à différents traitements étudiés. En tant qu’épidémiologiste moléculaire et chercheur en cardiologie préventive au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec — Université Laval, je constate que ces essais cliniques randomisés sont d’une importance fondamentale pour informer nos stratégies de prévention des maladies.
Randomiser pour distinguer association et causalité
Dans un monde qui a soif de science et de données probantes pour éclairer la prise de décision, la ligne entre cause et association est plus que jamais difficile à tracer.
Un biais de causalité inverse s’introduit dans une étude observationnelle quand l’exposition à un facteur de risque est causée par une maladie, plutôt que l’inverse.
Par exemple, une association entre la consommation de boissons hypocaloriques et le diabète de type 2 pourrait nous laisser croire que ces boissons causent le diabète de type 2. Or, elles sont plutôt, très souvent, consommées chez les patients atteints de cette maladie dans le but de diminuer leur consommation de sucre. Il est alors difficile, dans ce cas, de départager l’œuf et la poule en se basant uniquement sur les études observationnelles.
Les biais de confusion, plus subtils mais tout aussi importants, apparaissent lorsque l’association entre un facteur de risque et une maladie est expliquée par un facteur sous-jacent. Par exemple, des concentrations sanguines faibles de vitamine D ont été associées à plusieurs dizaines de maladies (ostéoporose, diabète, cancers, etc.), ce qui expliquerait que les prescriptions de vitamine D aient été multipliées par 60 aux États-Unis entre 2000 et 2014.
Or, plusieurs facteurs influencent les concentrations sanguines de vitamine D, tels que l’exposition au soleil, l’âge, le tabac, la santé métabolique et plusieurs autres. Il devient donc difficile, voire impossible, dans une étude observationnelle, de déterminer si l’impact des concentrations sanguines de vitamine D sur les maladies est dû à la vitamine D à proprement dit ou à ces facteurs confondants.
Un essai clinique randomisé dans lequel des volontaires seraient aléatoirement répartis en deux groupes pendant une longue période à une supplémentation en vitamine D ou à un placébo serait le seul moyen de démontrer un lien de causalité entre les concentrations sanguines de cette vitamine et le risque de maladies. Or, les résultats de plusieurs essais cliniques randomisés récemment publiés n’ont pas démontré de bénéfices de supplémentation en vitamine D sur l’incidence de cancers, de maladies cardiovasculaires, de fractures, ou de dépression pour ne nommer que ceux-là.
Les essais cliniques randomisés représentent ainsi l’« étalon-or » des devis d’études visant à établir une relation de cause à effet entre l’exposition à un facteur de risque ou un traitement et le risque de développer une ou plusieurs maladies. Le processus de randomisation assure que deux ou plusieurs groupes dont on comparera le risque de maladies à terme ne sont différents que par leur exposition à un facteur de risque ou un traitement, limitant ainsi les biais de confusion et de causalité inverse.
Malheureusement, les coûts de ces études qui peuvent atteindre plusieurs centaines de millions de dollars et les défis techniques qu’elles représentent sont un frein important à leur réalisation. Par ailleurs, il est, dans plusieurs cas, impossible de mener ces études en raison de considérations éthiques ou liées à leur faisabilité. Par exemple, il ne serait pas éthique de randomiser des gens à une exposition à des produits connus comme nocifs comme le tabac ou l’alcool.
L’essai clinique randomisé de Mère Nature
Et c’est ici qu’entre en scène le botaniste autrichien Gregor Mendel qui a publié des ouvrages sur les lois de l’hérédité au 19e siècle et est devenu en quelque sorte le père de la génétique moderne.
La révolution génétique et l’avènement des données massives ont permis de mettre au jour de nouvelles techniques d’investigation épidémiologique innovantes qui bouleversent notre compréhension des facteurs de risque et causes de maladies.
Gregor Mendel a donné son nom à une méthode de recherche appelée « randomisation mendélienne ». Ce type d’étude repose sur la notion que plusieurs composantes de notre biologie et facteurs de risque de maladies sont « héritables », c’est-à-dire que la variabilité de leur présence dans la population est expliquée en partie par des facteurs génétiques.
En effet, telles de véritables empreintes digitales moléculaires, les quelques millions de variations génétiques dont nous sommes tous porteurs sont celles qui nous rendent uniques. Celles-ci influencent notre alimentation, nos habitudes de sommeil, notre susceptibilité à fumer et à nous éduquer, et des milliers d’autres composantes de notre biologie, indépendamment de l’environnement dans lequel nous évoluons.
Ces variations, acquises de façon aléatoire, sont désormais quantifiables. En établissant l’association entre des variations génétiques associées spécifiquement à un trait biologique d’intérêt et en mesurant leurs effets sur le risque de maladies, la randomisation mendélienne permet d’établir une relation de cause à effet entre des traits biologiques et le risque de maladies. Se comparant en plusieurs points aux essais cliniques randomisés, elle est, pour ainsi dire, l’essai clinique randomisé de Mère Nature.
En effet, comme les variantes génétiques sont réparties aléatoirement durant la conception (méiose), ils ne sont ni influencés par notre environnement ni par nos comportements. Les biais de causalité inverse sont donc éliminés. L’accessibilité aux dossiers de patients électroniques de plusieurs centaines de milliers de participants nous permet également d’étudier simultanément et systématiquement plusieurs centaines de maladies. De plus, puisque l’effet des variations génétiques est quantifiable dès la naissance (et dans l’environnement intra-utérin), ceux-ci persistent tout au long de la vie.
Les études de randomisation mendélienne (le terme a été utilisé pour la première fois en 1991 par les hémato-oncologues Gray et Weathley), sont rendues possibles grâce au libre accès aux données génétiques et cliniques de millions de volontaires à travers le monde. Des cohortes comme la UK Biobank ont révolutionné la mise en pratique de cette science émergente située aux frontières des études observationnelles, des essais cliniques randomisés et de la biologie intégrative. Ce type d’étude a rapidement gagné en popularité et connaît un véritable essor depuis cinq ans.
Des retombées concrètes de la randomisation mendélienne
En tirant profit des fondements et concepts de la randomisation mendélienne, nos travaux de recherche ont renforcé la notion selon laquelle l’exposition au tabac ou à des concentrations élevées de cholestérol sanguin augmentent le risque de plusieurs maladies et réduisent notre espérance de vie en santé.
Nous avons également utilisé cette méthode pour identifier de nouveaux médicaments ou repositionner certains médicaments déjà existants dans le but d’améliorer notre espérance de vie en santé.
D’autres groupes ont utilisé la randomisation mendélienne pour démontrer l’absence d’associations causales entre les concentrations sanguines de vitamine D ou la consommation de café et la santé humaine, ou encore pour définir l’association entre le niveau de scolarité atteint ou le nombre d’heures de sommeil et la santé mentale. Des articles fraîchement prépubliés présentent également comment cette méthode a permis d’identifier des facteurs de risque de complications liées à la Covid-19 et ont déjà proposé de nouvelles cibles thérapeutiques pour cette récente maladie.
Un investissement massif dans nos infrastructures de recherche et biobanques québécoises et canadiennes supportant de telles initiatives s’avère plus important que jamais en ces temps où la santé publique et la prévention occupent une place centrale dans nos vies.