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Maladie du foie gras : décoder nos gènes pour mieux la prévenir

Depuis une quarantaine d’années, les changements associés à notre environnement urbain et alimentaire ont eu un impact majeur sur nos habitudes de vie.

Nous sommes davantage sédentaires, et la qualité de notre alimentation et celle de notre sommeil sont à leur plus bas depuis des décennies. Couplés à une augmentation de notre espérance de vie, ces changements sont inévitablement associés à une augmentation du nombre d’individus vivant avec des maladies « cardiométaboliques » telles que le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, certains cancers et même certaines maladies neurodégénératives.

Une autre maladie cardiométabolique qui passe fréquemment sous le radar est la stéatose hépatique non alcoolique (SHNA) ou la « maladie du foie gras ». Le foie est un organe clé qui est impliqué dans la digestion des aliments, le métabolisme énergétique et la gestion des nutriments. Cet organe est en communication directe avec l’intestin et le tissu adipeux (la composante principale de notre graisse corporelle). La SHNA est une maladie plutôt silencieuse, car peu ou pas de symptômes sont associées à cette maladie.

Étudiante à la maîtrise à l’Université Laval, l’objectif de mon projet de recherche est d’identifier des cibles thérapeutiques pour prévenir la SHNA et ses complications en utilisant la génétique humaine.

La maladie du foie gras et ses conséquences

Dans la population générale, la SHNA est une maladie qui touche, en moyenne, un adulte sur quatre et près d’un enfant sur 10 à travers le monde. Cette maladie progresse de stades réversibles vers des stades irréversibles. Le premier stade est défini par la présence de stéatose (accumulation excessive de lipides dans le foie qui représente au moins 5 % de la masse totale du foie). Le stade suivant, également réversible, est caractérisé par une inflammation des cellules du foie (appelées hépatocytes). À cette inflammation peut s’ajouter la présence de fibrose (tissu cicatriciel).

Le développement de la maladie vers des stades irréversibles, chez les cas plus sévères, peut mener à une cirrhose et/ou à un cancer du foie. On prévoit que d’ici 2025, la SHNA sera la principale cause d’insuffisance et de transplantation hépatique. Ses complications ne se limitent toutefois pas uniquement aux maladies du foie. Elle est fortement associée à plusieurs autres maladies cardiométaboliques « extrahépatiques » (à l’extérieur du foie) telles que le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires (la principale cause de décès des patients touchés par la SHNA).

Évolution de la stéatose hépatique non alcoolique et caractéristiques histologiques. (Émilie Gobeil, adapté sur BioRender.com), Fourni par l’auteur

Quels sont les facteurs de risque de la SHNA ?

La SHNA se développe progressivement et peut évoluer différemment d’un individu à l’autre en fonction de facteurs génétiques et de certains facteurs de risque.

Parmi les facteurs associés à l’alimentation, la consommation de sucre ajouté, par exemple le fructose présent dans les boissons sucrées, pourrait y contribuer, notamment en activant un processus métabolique appelé la lipogenèse de novo (production d’acides gras à partir du sucre). Aussi, les produits ultra-transformés, très présents dans notre alimentation nord-américaine, ont une haute densité énergétique et fournissent aussi un apport important en sucre, en gras et en sel. Par ailleurs, la consommation d’alcool, même en l’absence d’alcoolisme, pourrait avoir un effet synergique sur le métabolisme hépatique et accélérer la progression de la SHNA.

Facteurs de risque contribuant à la stéatose hépatique non alcoolique. (Émilie Gobeil, créé sur BioRender.com), Fourni par l’auteur

Il est aussi bien reconnu qu’un poids élevé est un facteur de risque de la SHNA : environ la moitié des individus atteints d’obésité (les individus avec un indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 30 kg/m²) pourraient développer la maladie. Mais la SHNA peut être fréquemment observée chez des gens qui ont un « poids santé ». Bien qu’un outil comme l’IMC puisse avoir une certaine utilité pour mesurer les conséquences d’un poids élevé, son utilité clinique est de plus en plus contestée. L’IMC ne donne en effet que peu ou pas d’information sur la localisation du tissu adipeux : il aurait des conséquences beaucoup plus néfastes lorsque localisés dans l’abdomen qu’au niveau des bras, des hanches ou des cuisses.

Comment la génétique contribue-t-elle à la maladie du foie gras ?

Dans notre équipe de recherche, nous sommes convaincus que l’identification des facteurs génétiques qui contribuent aux maladies chroniques telles que la SHNA nous permettra de mieux comprendre, prévenir et traiter celles-ci.

À cette fin, nous avons effectué la plus grande étude génétique sur cette maladie à ce jour. Nous avons comparé les variations du génome de 8 434 personnes atteintes de la SHNA provenant de quatre pays (Estonie, États-Unis, Finlande et Royaume-Uni) à celles de 770 180 personnes sans SHNA. Nous avons pu identifier une association entre un gène appelé LPL et la SHNA. Ce gène (qui code pour une enzyme appelée lipoprotéine lipase) joue un rôle important dans l’entreposage des lipides sanguins dans notre tissu adipeux. Ainsi, une perturbation de l’activité du gène LPL pourrait augmenter les chances que les lipides se déposent ailleurs dans l’organisme, par exemple dans le foie.

Cette étude génétique nous a également permis de clarifier le rôle de la distribution ou de la localisation du tissu adipeux et de l’obésité dans le développement de la SHNA. Dans une récente étude génétique, nous avons déterminé la contribution de l’IMC et du tour de taille sur la présence de la SHNA. Selon les résultats de cette étude, indépendamment de l’IMC, le tour de taille avait un effet significatif sur le risque de SHNA. À l’inverse, l’IMC seul n’avait pas d’effet sur le risque après avoir considéré le tour de taille.

Ainsi, faut-il absolument perdre du poids pour prévenir la maladie du foie gras ?

Peut-on prévenir ou guérir la SHNA ?

Bien que certains médicaments utilisés, par exemple pour le traitement du diabète de type 2, pourraient diminuer l’inflammation dans le foie des patients atteints de la SHNA, pour le moment, il n’existe ni traitement spécifique ni suppléments ciblant cette maladie.

Nous pensons que la découverte des gènes de la SHNA permettra d’accélérer le traitement de celle-ci. Pour l’instant, l’idée de cibler les facteurs de risque modifiables associés à la SHNA semble la plus prometteuse. Fait intéressant, plusieurs études ont démontré que l’amélioration de la qualité nutritionnelle et l’augmentation des niveaux d’activité physique pouvaient réduire l’accumulation de graisse hépatique, même si ces interventions étaient associées à une perte de poids relativement modeste.

Tout comme d’autres maladies chroniques sociétales telles que les maladies cardiovasculaires et le diabète de type 2, il est possible dans une certaine mesure de prévenir la maladie du foie gras, et ce, sans faire de « régime miracle ». En demeurant actif au quotidien, en cuisinant une bonne variété d’aliments, en améliorant notre sommeil et en limitant nos temps d’écran, notre consommation de produits ultra-transformés ainsi que notre exposition au stress, on peut assurément prévenir ou retarder le développement de telles maladies.

Nous sommes d’avis qu’en démocratisant l’accès à une alimentation santé et en transformant l’aménagement urbain pour favoriser les déplacements actifs, il deviendra possible de freiner la progression de telles maladies dans l’ensemble de la population.

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