Le microbiote intestinal, c’est l’ensemble des bactéries et virus résidant dans notre intestin. Il est impliqué dans diverses fonctions, comme la digestion des aliments et la protection contre certaines pathogènes.
Certains facteurs peuvent perturber le microbiote intestinal. On parle notamment de notre alimentation, de notre consommation d’alcool, de la prise d’antibiotiques et des maladies inflammatoires de l’intestin. Ces altérations, nommées « dysbiose », sont associées à un large éventail de maladies chroniques.
Dans la dernière décennie, les résultats de centaines d’études effectuées chez des modèles animaux ont proposé que la dysbiose intestinale pourrait influencer plusieurs perturbations métaboliques. De plus, chez des rongeurs, l’implantation de certaines bactéries pourrait influencer le poids et le profil métabolique. De plus, le transfert du microbiote intestinal d’une souris mince à une souris de poids élevée lui permettrait de perdre du poids. Est-ce trop beau pour être vrai ?
Respectivement étudiant au doctorat et professeur titulaire au Département de médecine de l’Université Laval, notre objectif est d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques pour les maladies chroniques et l’espérance de vie en santé avec une approche basée sur l’épidémiologie génétique. Ce court article vise à résumer et contextualiser nos récents travaux de recherche sur le microbiote intestinal.
Get news that’s free, independent and based on evidence.
Sign up for newsletter
L’importance d’un lien de causalité
Des scientifiques ont suggéré que la consommation de certains aliments comme les fibres alimentaires, les fruits riches en antioxydants et la viande rouge aurait un effet sur le microbiote intestinal. Certains avancent même que le microbiote pourrait devenir une cible thérapeutique pour la prévention ou le traitement de certaines maladies chroniques.
Or, pour que le microbiote devienne une cible thérapeutique d’intérêt, il est primordial d’établir un lien de causalité entre les caractéristiques du microbiote intestinal et les maladies chroniques. En effet, un lien de causalité suggère que la modification du microbiote diminuerait le risque de développer une maladie. Même si plusieurs études observationnelles (non expérimentales) chez l’humain ont identifié des liens statistiques entre divers marqueurs du microbiote intestinal et les maladies chroniques, le lien de causalité n’est pas clairement établi.
Par exemple, on ne sait pas si la dysbiose intestinale est la cause ou la conséquence d’une maladie (causalité inverse). On ne sait pas non plus si les deux seraient influencés par d’autres facteurs « confondants », qui seraient associés à la fois au microbiote intestinal et aux maladies chroniques. On pourrait penser, par exemple, à la qualité de notre alimentation, notre poids ou notre consommation d’alcool.
Ainsi, l’objectif de nos travaux était de déterminer s’il existe bel et bien une relation directe et de cause à effet entre le microbiote intestinal et des marqueurs métaboliques comme le poids, huit maladies chroniques et la longévité humaine à l’aide d’une approche génétique, la randomisation mendélienne.
Le pouvoir des données génétiques
La randomisation mendélienne tente d’établir des liens de causalité à partir de données génétiques. Pour ce faire, la randomisation mendélienne utilise des variants génétiques (des changements fréquents dans la séquence de notre génome appelés polymorphismes nucléotidiques) fortement associés à un facteur de risque (microbiote intestinal), pour établir un lien de causalité avec une variable dépendante (marqueurs de santé et maladies), tel que décrit dans un récent article. Comme les variations de notre génome sont établies au moment de la formation de l’embryon et qu’elles demeurent stables au cours de notre vie, cette expérience de randomisation naturelle n’est pas sujette aux biais de causalité inverse, puisque la présence de maladie n’influence pas notre code génétique. Elle n’est pas non plus sujette à l’effet des facteurs confondants, puisque les variations génétiques utilisées sont associées spécifiquement aux caractéristiques du microbiote intestinal.
Nous avons inclus les données génétiques de quelques dizaines de milliers d’individus provenant de plusieurs cohortes. Nous avons identifié des variants génétiques associés à 10 métabolites fécaux et sanguins. Les métabolites inclus sont de petites molécules produites par le microbiote intestinal qui ont déjà été associées à la dysbiose intestinale et à certaines maladies. Nous avons aussi identifié les variants génétiques de dizaines de taxa microbiens (par exemple une espèce, un genre ou une famille de bactéries). Nous avons étudié neuf traits cardiométaboliques (poids, pression artérielle, lipides sanguins, insuline, etc.) ainsi que huit maladies chroniques : la maladie d’Alzheimer, la dépression, le diabète de type 2, la maladie du foie gras, la maladie coronarienne athérosclérotique, les accidents vasculaires cérébraux, l’ostéoporose et l’insuffisance rénale. Nous avons également étudié l’effet de ces facteurs associés au microbiote intestinal sur l’espérance de vie en santé et la longévité.
Nous avons émis l’hypothèse qu’à la lumière des données déjà publiées, un lien de causalité serait révélé entre la dysbiose intestinale et les maladies chroniques associées au vieillissement.
Or, contrairement à notre hypothèse, cette analyse de randomisation mendélienne n’a pas démontré d’effets importants du microbiote intestinal sur les facteurs métaboliques et les maladies chroniques. Sept associations entre certains paramètres microbiens et les maladies chroniques associées au vieillissement apparaissent comme potentiellement causales, mais leur effet est faible et on ne peut exclure qu’elles soient le fruit du hasard. Dans l’ensemble, ces résultats n’offrent que peu d’appuis à l’hypothèse selon laquelle le microbiote intestinal a un effet important sur notre poids, notre métabolisme et notre risque de développer des maladies chroniques.
Des résultats qui appellent à la prudence
Ces résultats suggèrent que les associations précédemment observées pourraient ne pas être causales. Les associations pourraient être expliquées par les maladies elles-mêmes (biais de causalité inverse) ou des facteurs confondants (biais de confusion) tels que l’alimentation, la prise de médicaments, l’usage de tabac, la santé métabolique, ou autres. Ces résultats vont toutefois de pair avec les résultats de quatre récentes études cliniques randomisées montrant que le transfert du microbiote intestinal de personne mince vers des personnes de poids élevé ne mène à aucune perte de poids ou amélioration significative du profil métabolique.
La randomisation mendélienne est une méthode qui présente plusieurs avantages en comparaison avec les études observationnelles. Il faut toutefois contextualiser ces résultats. Il est tout à fait possible que les paramètres génétiques que nous avons utilisés pour prédire les métabolites et les espèces microbiennes associés à la dysbiose intestinale ne capturent pas entièrement la complexité du microbiote intestinal. Ce phénomène diminuerait notre capacité à identifier des associations significatives. Par conséquent, des études avec des échantillons de plus grande taille et avec une meilleure caractérisation du microbiote intestinal et de ses métabolites seront nécessaires pour déterminer si certaines bactéries intestinales jouent un rôle clé dans l’étiologie (étude des causes) des maladies chroniques et de la longévité.
Même si l’impact de la dysbiose intestinale sur les maladies chroniques semble limité, la santé intestinale est toutefois importante pour d’autres facettes de la santé humaine. Par exemple, le microbiote empêche d’autres bactéries néfastes de coloniser notre intestin. De plus, il permet de digérer certains nutriments (des fibres alimentaires, par exemple) qui, autrement, seraient rejetés par notre organisme.
Des thérapies qui modulent le microbiote intestinal ont récemment obtenu l’approbation des autorités de santé américaine pour la prévention des infections à C. difficile (une bactérie qui cause la diarrhée et d’autres maladies intestinales graves). Nos résultats, de même que les résultats d’études cliniques moins sujettes aux biais de causalité inverse et au biais de facteurs confondants, ne supportent toutefois pas un effet important de la dysbiose intestinale sur les maladies chroniques.
Ces résultats appuient que le potentiel du microbiote comme cible thérapeutique des maladies chroniques est, pour le moment, faible. Nous invitons les professionnels de santé et le grand public à faire preuve de prudence à l’égard des tests diagnostiques basés sur le microbiote intestinal pour diagnostiquer des problèmes de santé qui ne sont pas validés par les autorités de santé compétentes.
Mais, surtout, à éviter de recommander certaines interventions basées sur le simple fait que celles-ci influenceraient les paramètres du microbiote intestinal.